fbpx

The Mentalists nous raconte la génèse de son spectacle « Humanoïde », créé aux Cuizines.

Depuis maintenant deux ans, le trio électro-jazz acoustique The Mentalists mêle les musiques improvisées à celle des clubs, et travaille sur un projet de spectacle, autour de la musique, de la danse et de la vidéo. Cette résidence de création menée avec le soutien de la DRAC Île-de-France, aux Cuizines, a pu donner corps à Humanoïde, une fable contemporaine sur le rapport de l’Homme aux machines, au travail et à sa propre nature. Benoît Giffard, membre du trio, revient sur la genèse du projet.

Bonjour Benoît. Parle-nous de la formation de The Mentalists ? Qu’est-ce qui vous a poussé a travailler ensemble ?

Benoît Giffard : The Mentalists est né de ma rencontre avec Hamza Touré et Julien Mercier au sein d’un groupe de jazz avant-garde, que j’ai rejoint en 2015. Durant les répétitions nous nous sommes rendus compte que nous avions tous une activité autour du logiciel Ableton Live et de la M.A.O., en plus de notre pratique de l’instrument. Nous avons donc continué les sessions d’improvisation – qui débouchaient sur des compositions – et avons commencé à réfléchir à la possibilité d’improviser réellement avec les machines, comme un jazzman avec son instrument.

The Mentalists est un groupe au carrefour entre la musique électronique et le jazz improvisé. Quelles ont été vos inspirations majeures ?

Venant tous de milieux musicaux assez hétérogènes, nous n’avons jamais réussi à nous cantonner à un style musical. Dans notre spectacle Humanoïde par exemple, on emprunte un thème au saxophoniste de jazz avant-garde Steve Coleman, des samples de voix de Maria Callas, une pièce du compositeur de musique électro-acoustique Iannis Xenakis, des rythmes issu du Maloya réunionnais…

Ianis Xenakis : Mycenae Alpha

De même, nous creusons dans l’esthétique jungle/drum’n’bass de la fin des années 1990, dans la techno des années 2000 comme dans les courants récents du dubstep ou de la trap. Nous avons aussi utilisé des textes de l’ouvrage d’Aldous Huxley Le Meilleur des mondes ainsi que des extraits sonores de différents reportages récents sur le transhumanisme et l’eugénisme – l’ensemble des méthodes et pratiques visant à sélectionner les individus d’une population en se basant sur leur patrimoine génétique – afin de verbaliser et rendre sensible des discours que l’on entend un peu partout depuis quelques décennies.

Aldous Huxley – Le meilleur des Mondes

Quelles ont été les thématiques soulevées autour du rapport Homme/Machine d’Humanoïde ? De quelle façon les avez-vous abordées ?

étant sensible aux travaux récents sur l’intelligence artificielle notamment et le transhumanisme, nous sommes assez inquiets quant au développement de cette dernière discipline et ses impositions sur la condition humaine. Hannah Arendt nous mettait déjà en garde dans les années 1950, dans son ouvrage La condition de l’homme moderne sur les disparités de mode de vie, la révolution industrielle, la mondialisation et, de facto, leurs lourdes conséquences sur la condition du genre humain.

Hannah Arendt – Condition de l’homme moderne

L’intelligence artificielle nous inquiète moins pour le moment, car même à raison d’un deep learning acharné (capacité d’apprentissage des machines en les « nourrissant » de données) , les meilleurs IA actuelles (qui n’ont d’intelligentes que le nom) ne sont capables de faire que ce pour quoi elles sont programmées et ce qui leur permettraient d’évoluer significativement leur fait défaut (l’erreur, la reconnaissance de l’erreur en tant qu’erreur, la créativité, l’expérimentation…).

Holly Herndon, un chœur et une intelligence artificielle

Il est vrai que l’ordinateur Deep Blue à battu le champion du monde d’échec Kasparov en 1997 et que récemment l’exploit à été réitéré par un ordinateur au jeu de Go, mais demandez à ces ordinateurs de faire n’importe quel tâche qui n’entre pas dans leur programmation et ils en seront incapables. Nous sommes donc conscient qu’il y aura encore longtemps besoin d’homme dans le circuit de production d’ordinateur évolués (ne serait-ce que pour les nourrir en données) et quand à parler
« d’intelligence » nous en sommes encore très loin. Cela dit, la surveillance accrues des personnes et de leur mode de vie, de plus en plus prégnante, que permettent les algorithmes, nous inquiètes et nous avons voulu créer un spectacle pour questionner cette problématique.

Parle-nous de l’univers chorégraphique contemporain d’ Humanoïde ? Qu’apportent les danseurs au traitement de ces thématiques ?

Le choix de la danse contemporaine est une évidence, de par sa liberté face aux formes conventionnelles. La création de la chorégraphie par les danseurs – Maya Eymeri et Nordine Hamimouch – a été essentiellement basée sur la trame narrative du spectacle : la relation entre homme et machine, puis par la perception des danseurs vis-à-vis de la musique et enfin par des propositions et échanges avec les musiciens et autres membre du groupe, notamment l’ingénieur lumière et le VJ.

Ayam Maya – La danse grise

Vous avez également fait appel à un VJ. Quel a été son apport créatif dans la seconde partie du spectacle ?

Incogito – Oyé Label

J’ai rencontré Incogito, le VJ ou « visucien » – membre du Oyé Label, spécialiste des arts visuels – , au cours d’une résidence au Festival international de théâtre de rue d’Aurillac de 2019, où lui et moi interprétions des performances audiovisuelles. Cette collaboration artistique nous à permis d’échanger et confronter nos domaines artistiques. Autour de la problématique Homme/Machine, nous avons convenu de projeter sur du « tulle » plutôt que sur un écran, pour profiter de la transparence que ce tissu permet et afin de pouvoir jouer avec le nous « humains » en fond de scène et le nous « numériques », projeté sur la surface. Pierre (Incogito) nous a alors proposé de « scanner » les danseurs et nous-même afin de nous reproduire en 3D et d’intervenir sur la seconde partie du spectacle en rendant numériques nos mouvements. La scénographie a été orientée autour de l’idée d’être, nous trois musiciens, entourés de tulle afin de paraître tantôt en chaire et en os, tantôt en 3D, avec toutes nos « machines » (ordinateurs, câblages, synthés, cartes-son…) visibles.

Incogito – Oyé Label

Qu’en est-il de l’avenir d' »Humanoide » et de sa diffusion en salle de spectacle ?

Nous souhaiterions évidemment avoir la chance de diffuser ce spectacle le plus largement possible. Nonobstant cette envie, nous allons devoir nous orienter vers les salles disposant d’un plateau équipé pour accueillir une chorégraphie. Nous allons donc contacter les scènes de musiques actuelles, les théâtres mais aussi les festivals d’arts-numériques, les expositions d’arts-contemporains.